PENSER LES ENTREPRISES, LE CAS DU LUXE ET DES INDUSTRIES CULTURELLES
Pourquoi les entreprises recrutent des chercheurs ?
Dans son ouvrage « Danser sur le volcan — la mode et le luxe à la conquête de nos imaginaires » - Grasset, 2025 - Sophie Abriat observe de l’intérieur et avec sagacité, le monde du rêve. Dans ce livre passionnant, la journaliste (M Le Monde et T, le magazine du Temps) consacre un chapitre à l’apport des chercheurs et des intellectuels dans cette industrie (« Les intellectuels au chevet du luxe »), à un moment où la recherche traverse une crise profonde intensifiée par les manœuvres de Donald Trump.
Rester ancré dans le réel
Dans un monde en constante mutation, le secteur du luxe a dû se positionner sur des enjeux sociétaux et les intégrer dans ses stratégies de communication. Sophie Abriat souligne que les marques de luxe « font régulièrement appel à des chercheurs et des intellectuels pour les aider à définir leurs prises de position sociétales et éviter les faux pas ». Elle explique que la mode a besoin d’experts capables de décrypter le contexte culturel des marchés dans lesquels elle évolue : « chaque publicité, chaque image, chaque mise en scène est passée au crible de l’analyse culturelle ».
En 2019, alors qu’elle enquêtait sur la présence de scientifiques dans le luxe, le sociologue Stéphane Hugon lui résumait ainsi la situation : « jusqu’alors, les sciences humaines n’avaient pas leur place dans les stratégies de développement des marques de luxe. Les décideurs commencent à comprendre leur utilité, car la complexité des enjeux requiert une pluralité de compétences. En intervenant en amont, au moment de la prise de décision, la sociologie et l’anthropologie agissent comme des réducteurs de risques. » Il ajoutait : « Les marques de mode se sentent aujourd’hui très fragilisées. Et c’est totalement nouveau : elles craignent de ne pas saisir les transformations culturelles en cours, de ne pas capter leur époque ».
Sophie Abriat poursuit : « Dans une société marquée par la dissonance cognitive - où l’on peut être à la fois éco-anxieux et consommateur frénétique - le présent, essence même de la mode, devient difficilement intelligible ». Elle cite Luca Marchetti, sémioticien et analyste culturel : « Sans une bonne lecture de la culture d’un pays ou d’une communauté ciblée, le marketing censé amplifier un message ne sert à rien aujourd’hui. Une marque de luxe n’est plus seulement un référent commercial. Elle devient un référent culturel dans l’imaginaire collectif. Elle incarne une forme de savoir, ce qui implique davantage de responsabilités sociétales. Il faut donc savoir sur quels sujets s’exprimer, quelles actions mener, quelles causes soutenir. Aujourd’hui, les groupes de luxe ne vendent pas seulement un prêt-à-porter, mais aussi un prêt-à-penser ».
On découvre ainsi qu’en 2011, le philosophe Adrien Barrot a été recruté par Hermès comme conseiller de la direction création et image. En 2018, LVMH annonçait l’arrivée de la philosophe Sophie Chassat au sein de son conseil d’administration pour « apporter un regard philosophique sur les questions sociétales ». En 2019, lors de son défilé à Marrakech, Dior faisait appel à l’anthropologue Anne Grosfilley. La sociologue Agnès Rocamora (London College of Fashion) soulignait : « en communiquant sur leur collaboration avec des expertes, les marques cherchent une caution intellectuelle, un capital symbolique qui leur permet de légitimer leurs pratiques ».
Sérendipité
C’est à l’aube de ma troisième vie, après un long parcours dans les industries créatives, que j’ai décidé de reprendre mes études pour mieux appréhender les transformations en cours. Tout au long de ma carrière, trop absorbée par mes indicateurs de croissance et les vicissitudes de la vie entrepreneuriale, que je menais en parallèle de ma vie familiale, je n’ai pas vraiment accordé d’attention aux mutations profondes du monde. Aujourd’hui doctorante en quatrième année d’anthropologie sociale et ethnologie, alors que je rédige ma thèse, je réalise combien ce que j’apprends est essentiel. Bien sûr, je n’aurais pas pu piloter trois vies à la fois - maman, entrepreneuse et chercheuse - mais j’aurais pu m’entourer. Faire appel à celles et ceux qui observent, analysent, et aident à prendre les bonnes décisions. J’ai su m’appuyer sur les meilleurs designers, agences de communication, experts en relations publiques ou financiers… mais je n’ai probablement pas assez examiné le sens de mes projets. Et pourtant, nous n’étions pas au XIXe siècle, mais en 2018.
Le hasard m’a récemment permis de recroiser le chemin de Monique, avec qui j’ai passé beaucoup de temps lorsqu’elle étudiait en France. Déjà à l’université, Monique - originaire de Salvador de Bahia - rêvait de transformer le monde. De retour dans son pays, elle s’est engagée au sein d’institutions publiques et d’organisations à but non lucratif, dans divers secteurs économiques. Grâce à sa vision globale et à sa curiosité insatiable, elle s’est rapidement rapprochée des décideurs, les accompagnant à explorer de nouveaux territoires stratégiques - entre « océans bleus » et ambidextrie organisationnelle. Aujourd’hui docteure en sciences sociales, Monique allie une solide connaissance de terrain à une compréhension fine des enjeux sociétaux, ce qui lui permet de promouvoir des solutions à la fois durables et stratégiques. En alternant expériences concrètes dans des projets d’internationalisation, d’innovation et de développement, avec un parcours académique rigoureux, elle s’efforce sans cesse d’apporter un regard neuf et transversal. Elle a consacré sa carrière — notamment au sein du ministère de la Culture de l’État de Bahia - à construire des ponts entre territoires, cultures et idées, combinant stratégie, ancrage local et engagement en faveur d’un développement créatif et durable.
Un duo utile
Aujourd’hui, fortes de notre parcours professionnel (l’avantage des seniors), de notre passion pour la recherche et de notre attention aux grands enjeux contemporains, nous mettons, chacune, nos compétences au service des entreprises. Nous proposons un accompagnement stratégique, ancré dans les réalités culturelles et sociales, à travers une approche de recherche appliquée. Nous aidons les organisations à interroger leur modèle, donner du sens à leur mission, et transformer leurs valeurs en leviers d’action.
Nous portons tous les projets qui visent un progrès - culturel, écologique ou social. Notre force : une double expertise, académique et opérationnelle. Nous parlons le langage des entreprises, et celui des chercheurs. Et nous savons les relier.
Une nouvelle aventure : relier la mode et la gastronomie
C'est ensemble que nous abordons un projet commandité par un réseau d'acteurs culturels de la France et du Brésil : relier la mode et la gastronomie. Notre travail s'inscrit dans la dynamique de l’échange bilatéral, porté par la « Saison France-Brésil » - une initiative culturelle conjointe lancée en 2025 pour célébrer 200 ans de relations diplomatiques entre les deux pays, avec pour axes principaux le climat, la diversité des sociétés et la démocratie.
Enraciné dans les cultures locales et ouvert au monde, notre programme réconcilie désirabilité, esthétique et responsabilité. Deux univers sensibles, culturels et créatifs. Nous voulons mettre en lumière les savoir-faire traditionnels, valoriser les artisanats d’exception et encourager les collaborations durables et éthiques.
Notre ambition est d’explorer les résonances profondes entre ces deux langages du corps et de la culture. Tous deux façonnent notre quotidien, expriment qui nous sommes et créent du lien. Ils sont culturels, économiques, symboliques. Ils s’ancrent dans le geste, le goût, la transmission. Ils parlent d’identité. Roland Barthes écrivait dans « Le système de la mode » que les vêtements, comme les aliments, sont des signes. S’habiller, manger : deux actes routiniers, mais profondément signifiants. Ils reflètent nos appartenances, nos choix, nos aspirations.
Notre mission : identifier, documenter et valoriser des pratiques traditionnelles en lien avec la nature — savoirs, gestes, matériaux, rituels, techniques agricoles ou artisanales — susceptibles d’inspirer l’innovation durable dans la mode et la gastronomie.
Ce projet donnera lieu à des résidences, des workshops, des événements et des collaborations entre stylistes, chefs, designers, artisans, chercheurs et maisons. Il s’agira de raconter les histoires, de révéler des patrimoines, de penser de nouveaux modèles de création et de transmission. Mode et gastronomie dépassent la fonction du produit : ce sont des arts vivants, des formes d’expression culturelle où se mêlent création, identité et désir. Elles incarnent un soft Power discret, mais redoutable.
Architectes culturelles expérimentées, à la fois opérationnelles et chercheuses, nous mettons notre double regard au service de ceux qui veulent conjuguer sens, style et stratégie.
Valérie de Mazières